Saint Joseph, martyr
Le visage de ce vieillard arménien dont la photo (prise par François Tomas, voir son interview en pages 8 et 9) fait la couverture de ce bulletin, tenant en main une croix, a réveillé en moi un souvenir vieux de 10 ans exactement.
En mars 2011 en effet, la grâce m’a été donnée d’être membre de la petite délégation diocésaine qui a visité pour la première fois le diocèse de Kankan, en Guinée Conakry, avec lequel nous sommes jumelés depuis 2009.
Un dimanche à la tombée du jour, nous nous sommes rendus à un village du nom de Saint-Alexis. Un village chrétien donc dans une région presque totalement musulmane. Aux abords du village, les missionnaires avaient érigé une croix, le 8 décembre 1954 (pour le centenaire du dogme de l’Immaculée Conception), quelques années avant l’indépendance du pays, la dictature de Sékou Touré, l’expulsion des missionnaires, la persécution, les diverses et multiples tentatives pour faire renier la foi en Jésus-Christ à ces villageois irréductibles. Irréductibles parce qu’accrochés à la croix pour rester attachés à Jésus. La croix comme signe de résistance, de persévérance dans la foi.
Cette croix, nul ne l’a arrachée, de même que nul n’a pu arracher ces villageois à leur foi chrétienne durant les 30 années de cette dictature. Quelle émotion de marcher en procession ce soir-là vers cette croix, le signe majeur de notre foi, au milieu de ce peuple qui avait si longuement résisté aux multiples tentatives de lui faire renier cette foi !
Un des moments les plus forts, pour moi, de notre séjour, que m’a remémoré l’image de cet arménien tenant la Croix, tenant à la Croix, tenant par la croix.
La méditation de la croix en Carême, la pratique du chemin de croix, n’est pas qu’un simple exercice de piété. L’exemple de nos frères de Guinée et tant d’autres d’hier ou d’aujourd’hui de par le monde, nous rappelle que la croix traverse toujours, d’une façon ou d’une autre, la vie des communautés chrétiennes et nos vies de chrétiens.
Un organisme comme l’Aide à l’Eglise en Détresse, que nous pouvons soutenir pendant le Carême, nous en donne régulièrement la brûlante actualité.
Pour que le monde soit sauvé, Jésus a livré sa vie jusqu’à la croix. Et tout chrétien peut dire avec saint Paul : « Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise» (Col 1,24).
Le noble visage de cet homme arménien évoque aussi pour moi la figure de saint Joseph.
Saint Joseph et la croix. Ce rapprochement est certes anachronique, même si de pieuses représentations montrent Joseph et Jésus dans leur atelier de charpentes façonnant une croix, allégorie de la mort du Fils sur le bois.
Au pied de la croix, il y aura Marie. Elle peut être dite martyre car alors lui transperce l’âme et tout l’être ce glaive prophétisé par Syméon au jour de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem.
Mais Joseph ? Il ne sera plus là bien sûr pour offrir avec Marie et ,comme elle, son amour sur la croix quand mourra Jésus. Cependant, il ne me paraît pas abusif de lui attribuer le titre de martyr.
En considération de ce que l’Évangile selon saint Matthieu nous dit de lui.
Le récit évangélique s’ouvre (Mt 1, 18-25) de façon dramatique. Joseph a appris que Marie se trouvait enceinte, avant qu’ils aient habité ensemble, sans en connaître encore la cause divine. On imagine sans mal que pour Joseph tout s’écroule.
Celle en qui il mettait toute sa confiance, celle qu’il considérait comme l’expression de la volonté de Dieu sur lui, Marie, la voilà enceinte avant qu’ils aient mené vie commune !
Suspicion, doute, sentiment d’avoir été trahi, décision de répudier Marie -comme la Loi le lui permet car il ne ferait rien contre la Loi, lui le juste -mais de la répudier en secret car il ne ferait rien contre l’amour, rien qui blesse celle qui a tout son cœur. Tout cela déchire Joseph.
Joseph vit l’épreuve de l’amour, de l’amour crucifié : un glaive traverse son cœur. Dieu permet qu’il offre son amour à cet instant où tout semble perdu, comme tout semblera perdu au Golgotha.
Mais à l’amour offert, Dieu offre cent fois plus : Dieu dévoile par son ange à Joseph l’immensité de l’amour qu’il est appelé à donner à Marie, à l’Enfant qu’elle porte, et à recevoir d’eux.
Après l’épreuve de l’amour, Joseph vit l’épreuve de la foi : rêve ou réalité que ce songe ? Impossible utopie ou folle vérité que cette naissance de Dieu en humanité ?
Par la foi, Joseph répond ; dans la foi, Joseph obéit : il prend chez lui son épouse, il prend chez lui cet Enfant en qui il croit comme en Dieu fait homme.
Et pour défendre cet Enfant, pour préserver son destin salvateur face à la haine vengeresse d’Hérode après la visite des mages (Mt 2,13-23), il prend avec sa famille le chemin de l’exil en Égypte. Persécuté, Joseph, comme Marie, à cause de Jésus.
Pour accueillir Jésus, il a offert son amour et sa foi ; pour le défendre il a offert sa vie.
Il s’est donné à la volonté de Dieu, à lui révélée en songes, et l’a gardée dans les épreuves.
Témoin d’un amour plus grand que lui-même, il s’y est abandonné. N’y a-t-il pas là la caractéristique du martyre ?
Sainte Jeanne-Françoise de Chantal, fondatrice de la Visitation, parlait d’un martyre d’amour, qui ne le cédait en rien au martyre de sang. Elle le définissait ainsi : « c’est que le divin amour fait passer son glaive dans les plus secrètes et intimes parties de nos âmes et nous sépare nous-mêmes de nous-mêmes ».
Ainsi de Saint-Joseph dont toute la vie fut transposée pour le service du Fils de Dieu qui voulut être appelé son fils.
Père Jean-Paul Soulet