L’organiste de saint-Jean de Perpignan au XVII siècle
Un écclésiastique cultivé … au destin tragique
L’inventaire des biens de Mossen Frances Seraphi, curé bénéficiaire de l’église de Saint Jacques et organiste de la cathédrale Saint Jean de Perpignan, est dressé en date du 26 novembre 1629 (3 E 1/4366, Andreu Bosch notaire à Perpignan, ADPO) soit neuf mois après sa fin tragique comme l’écrit le chirurgien Hieronim Cros dans son « Llibre de memorias » :
« Diumenge, a 23 de decembre y vespra de Nadal de 1628, ha les deu hores de la nit, trobaran a mossen Seraphi organista de Sant Joan y prevere de Sant Jaume, mort en sa casa, qui era prop de Sant Jaume, y lo ofegaran dos dones francesas y lo robaran y s’en fugiran. Y Nostro Senyor fonch servit les prengueren a Monner, un lloc serca de Estagell, y les aportaran à Perpinya y les sentenciaren asotadas, degolladas y fets quatra quartos, dimecres a tres de janer de 1629. La una se dehia Juana Casals, y l’altra Margarida Salvada.»
Cet inventaire laisse transparaître une personnalité érudite, raffinée et ouverte à toute forme de culture religieuse certes, mais aussi beaucoup plus large. De par son état religieux, à moins qu’il ne soit d’origine italienne, il a dû faire un séjour à Rome puisqu’il lit des œuvres en italien, mais il connaît également la comédie espagnole de son temps et, en tant que musicien et donc artiste, il possède outre des instruments de musique quelques tableaux de peinture.
« Inventari dels bens de mossen Frances Seraphi, prevere y beneficiat de Sant Jaume y organista de Sant Joan.
En la entrada :
Item un clavisimbal gran ab un banquet baix
Item un quadro xich ab Nostra Senyora pintada y Sant Joseph y lo Nino Jesus
En la instancia baix la scala :
Item dos llahuts, lo hu cobert de cuyre y lo altre no
Item dos breviaris lo hu bo y lo altre usat
Item dos llibres de ma de llenes de cant
Item altre llibre intitulat vergel de musica
Item dos llibres italians de cant
Item altre de cant en Italia
Item altre llibre en Italia de litere amorose
Item una sort de cuadern de cant
En la primera cambra de dita casa
Item un quadro xich ab la salutatio de Nostra Senyora
En altra cambra
Item un quadro xich de la Nativitat de Nostra Senyor al oli
Item un crucifici ab son peu
Item un llibre intitulat Iliada de Homero en Italia
Item una part de las comedias de Lope de Vega
Item un passioner ab solfa
Item una arquilleta dins la qual y son los llibres seguents :
Vingt y sinch llibres de cant
Dos llibres de full de cant
Altres llibres de octava de lletrellas de ma
Altre llibre intitulat Orlando Furioso en Italia
Altre llibre intitulat Imagine di Dei antiqui
Altre llibre en Castella intitulat De como se ha de ministrar el sacrament de la Penitencia
Altre llibre intitulat Enchiridion en Llati
Altra llibret intitulat Comedia de Dante »
Le musicien :
Il détient deux types d’instruments, d’une part un instrument à clavier et cordes : le « clavisimbal » et d’autre part deux instruments à cordes : les « llahuts », dont l’un est muni d’une protection en cuir.
Le « clavisimbal » ou clavicymbalum est l’ancêtre du clavecin apparu au quinzième siècle, mais ici on a sûrement utilisé cette vielle dénomination pour désigner un clavecin, instrument alors très en vogue, car lié au classicisme musical qui triomphera au siècle de Louis XIV grâce aux compositeurs tels l’allemand Joseph Sébastien Bach, le napolitain Domenico Scarlatti, le catalan d’Olot Antonio Soler (Pare Soler), et bien d’autres.
Le « llahut » ou luth instrument symbolique d’une musique intime et raffinée est très apprécié jusqu’à la fin du dix septième siècle où son affection amorce peu à peu un déclin certain.
Il a également en sa possession de très nombreux livres de chant, certains d’origine italienne « llibres italians de cant » d’autres de chants en langue italienne « llibres de cant en Italia » et de nombreux autres sans précision ce qui permet de supposer qu’ils sont peut être en Catalan. Parmi ces livres, certains sont dits « llibres de ma » destinés à être tenus à la main afin d’exécuter les chants, ce qui semble faire entendre que d’autres sont alors d’un format plus important. Il en est même portant les paroles (relation de la Passion) et la musique à la fois : « passioner ab solfa »
L’amateur de littérature :
Voilà un « honnête homme » qui à l’évidence parle plusieurs langues et s’intéresse à la littérature profane aussi bien de l’antiquité que de son temps.
La littérature Antique est présente grâce à l’œuvre maîtresse d’Homère, l’Iliade et l’Odyssée, mais éditée en Italien.
La littérature Italienne est représentée par deux écrits majeurs, d’une part l’incontournable Divine Comédie du florentin Dante Alighieri (1265-1321) ouvrage ancien du début du quatorzième siècle, d’autre part un écrit plus récent du début du seizième siècle, « l’Orlando Furioso », chef- d’œuvre de la Renaissance à la fois humaniste et classique du poète italien Ludovico Ariosto : l’Arioste (1474-1533) né à Reggio en Emilie, enfin un livre un peu de la même veine que ce dernier et surement issu de l’imitation des romans amoureux de chevalerie du Moyen Age qualifié par le notaire de « litere amorose », édité en Italien .
La littérature Espagnole est par contre tout à fait contemporaine, le madrilène Lope de Vega (1562-1635) passant, en ayant renouvelé le théâtre espagnol, pour l’inventeur ou tout au moins pour celui qui a harmonisé, si ce n’est codifié la « Comedia » en Espagne, fin seizième début dix-septième siècle.
Le prêtre :
Les livres liturgiques et religieux sont bien évidemment présents avec deux bréviaires, un « passioner », un « Imagine di Dei antiqui », ainsi qu’un livre absolument essentiel pour un prêtre donnant les directives afin de confesser les fidèles, « intitulat de como se ha de ministrar el Sacrament de Penitencia », enfin un traité philosophique et théologique concernant la Trinité et le Christ de l’écrivain syrien Jacques d’Edesse (633-708), appelé « Enchiridion » qui veut dire « Manuel ».
L’homme raffiné :
Son intérieur possède un petit cabinet (arquilla ou bargueno) ainsi que des tableaux à sujet exclusivement religieux, de petite taille et au nombre de trois (Sainte Famille, Annonciation et Nativité), signant le cadre de vie d’une personne de qualité. La présence de peinture est fort intéressante car on n’en trouve chez les Perpignanais, à cette époque, que dans les milieux aisés pour la peinture religieuse et de surcroît cultivés ou artistiques pour la très rare peinture profane ; enfin cette expression artistique est presque uniquement répertoriée dans leur résidence Perpignanaise, alors qu’elle est en général absente de leurs domaines agricoles.
Luc Martinaggi