un phare dans la ville
La tour de l’Horloge
Prouesse technique du XVIIIe siècle, elle renferme deux cloches gothiques qui rythment la vie du quartier Saint-Jean et ont marqué les grands événements du XXe siècle, du tocsin lugubre de la Grande guerre à la Libération d’août 1944.
De par sa monumentalité, la cage en fer forgé de l’horloge de l’ensemble cathédral Saint-Jean-Baptiste est le symbole du siège épiscopal d’Elne-Perpignan. En effet, une vue panoramique de la cité du XVe siècle et les éléments subsistant donnent une triangulation dont les sommets se trouvent au Castillet – pouvoir militaire –, à l’hôtel de ville – pouvoir communal – et à la cathédrale – lieu de culte et pouvoir épiscopal.
La cage de fer
D’après le marché du 17 septembre 1739, les deux cages de fer superposées devaient avoir 13,64 mètres – 27 pieds pour les heures et 2,5 toises pour les quarts. En réalité, l’ouvrage qui nous est parvenu s’élève, de la base au coq de vigilance, à 18 mètres. À notre connaissance, cet ensemble serait le plus important d’Europe.
L’inscription qui court le long de la première barre transversale de la cage des heures est l’aboutissement du marché conclu en 1739 entre les différentes parties. À l’aide du dessin réalisé par l’ingénieur du roi Laurens, l’exécution a été confiée à Philippe Barthélemy, ajusteur à la monnaie de Perpignan. Cette réalisation a été reçue le 5 mars 1745 en présence des quatre consuls – de Réart, Gabady, Crouzat et Lauget – et avait été approuvée par l’intendant de la province, de Ponte d’Albaret.
Ex mandato illvstrissimi domini de ponte : comitis d’albaret, primarii prœsidis et vice præfecti rvscinonensis agri (domino de lavrens regio machinario dvcente) illvstrissimorvmque dominorvm de reart gabady javme crovzat et lauget fidelissimæ vrbis perpig consvlvm istvd opvs a philippo barthelemy ferrario in hvjvsce vrbis monetæ officina scalptore excogitatvm ac factvm est collocatvm vero die v martii anno 1745 regnante lvdovico xv.
Par ordre de l’illustrissime seigneur de Ponte comte d’Albaret, premier président et intendant de la province de Roussillon (sous la direction du seigneur de Laurens, ingénieur du roi), et des illustrissimes seigneurs de Réart, Jaume Gabady, Crouzat et Lauget, consuls de la très fidèle ville de Perpignan, cet ouvrage conçu et fait par Philippe Barthélemy, ajusteur à la monnaie de cette même ville, a été effectivement placé le 5 mars de l’année 1745, Louis XV régnant.
Les proportions de l’ensemble s’avèrent harmonieuses et s’intègrent parfaitement à l’échelle de la façade et jamais le passant ne peut concevoir la hauteur de la seule rambarde qui atteint 4 pieds, soit 1,30 mètre.
Le style adopté correspond aux canons de la ferronnerie française. On y trouve des fleurs de lys – symbole du pouvoir royal – et des motifs végétaux stylisés, le tout amenant harmonieusement à la croix surmontée du coq symbolique.
On notera également des globes de cuivre – anciennement dorés – surmontés de fanions girouettes.
Suivant le marché, la quasi-totalité de la structure est en fer de Bourgogne ; le reste étant en fer du pays. Les éléments principaux et décoratifs sont assemblés et retenus par des boulons à vis et des goujons clavetés. Le mode d’assemblage et de scellements au plomb témoignent d’une technique qui a résisté au temps, d’autant qu’il n’y a aucune trace d’entretien et de réparation depuis un siècle.
Suivant le marché et l’aquarelle jointe qui nous sont heureusement parvenus on relève sur la structure de la cage un vert à base de vert-de-gris ; les éléments décoratifs de la cage et de la balustrade devaient être peints à la litharge d’or.
Le coq, la croix et les huit girouettes avec leurs boules devaient être dorés.
Les deux cloches, réalisées par le même fondeur, dont la plus importante est datée de 1418, proviennent du clocher du Vieux-Saint-Jean. La disposition des anses en couronne et les traces de frappes intérieures impliquent un ancien usage de sonnerie à la volée.
La cloche des heures
La cloche des heures d’une hauteur et d’un diamètre de 2 mètres doit peser approximativement, d’après les cotes, plus de 4 tonnes. Elle donne la note si 2.
Non signée mais datée de 1418, elle porte une riche épigraphie et une remarquable décoration. Elle a fait l’objet d’un classement au titre des Monuments historiques le 30 septembre 1911.
L’inscription se déroule sur le cerveau en minuscule gothique carrée :
On trouve d’abord une invocation à caractère religieux :
† ave maria † xps rex venit in pace devs homo factvs est † mentem santam spontaneam † honorem deo et patrie liberacionem † barbara nos serva xpi mitissim serva amen.
† Salut, Marie ! † Le Christ Roi vient dans la paix. Dieu s’est fait homme. † J’ai une âme sainte et spontanée pour honorer Dieu et pour demander la libération de la patrie. † Sainte Barbe protège-nous, très humble servante du Christ. Amen.
Ensuite, rédigée en catalan, une inscription à caractère historique :
† lany mil cccc xviii † stants consols de la vila de perpenya los honorables en lorens redon iohan canta gvillem campredon barnat garrivs pere amyl fo fet aqvest sayn † ihs.
† L’an 1418. † Étant consuls de la ville de Perpignan, les honorables Laurent Redon, Jean Canta, Guillaume Campredon, Bernard Garrius, Pierre Amyl, fut faite cette cloche. † Jésus, sauveur des hommes.
Enfin, une formule acclamative :
xps vincit xps regnat xps imparat [sic] xps ab omni malo nos defendat † amen.
Le Christ a vaincu. Le Christ règne. Le Christ commande. Le Christ de tout mal nous protège. † Amen.
Sur la panse se trouve la formule te devm lavdamvs ( Ô Dieu, nous te louons.) répétée sans nombre.
Les inscriptions religieuses correspondent à des formules d’adoration, d’invocation et d’acclamation que l’on retrouve dès cette époque en Europe. L’invocation à sainte Barbe pourrait concerner plus particulièrement le clocher du Vieux-Saint-Jean exposé à de fréquents tremblements de terre, très présents dans la conscience collective à cette époque. Il est vrai qu’endommagé par le grand séisme de 1428, cet édifice a été reconstruit à la fin du XVIIIe siècle du fait de son état de ruine.
Quant à l’inscription à caractère historique, elle nous informe de la date de la fonte et atteste du don de la ville – représentée ici par cinq consuls – à la collégiale. Cette cloche réalisée par un fondeur itinérant restera probablement anonyme, malgré les recherches.
L’iconographie se compose de quatre médaillons ornés de figures :
– le Christ sortant du tombeau dit Christ de saint Grégoire ;
– la Vierge à l’Enfant ;
– saint Michel terrassant le dragon ;
– le Baptiste présentant l’Agneau.
Les sujets sont représentés sous des dais gothiques ou des arcatures trilobées.
Cette riche iconographie malheureusement invisible aux fidèles, correspond à des dévotions générales de l’Église et aux usages de la décoration des cloches. Le Christ de saint Grégoire, la Vierge à l’Enfant et saint Michel terrassant le dragon se retrouvent presque systématiquement comme décoration des cloches à toutes époques. Quant au Baptiste présentant l’Agneau, sa présence rappelle la Dédicace de la collégiale du Vieux-Saint-Jean et peut être considérée comme une dévotion à caractère local.
La cloche des quarts
La cloche des quarts a un diamètre de 61,5 centimètres et pèse environ 100 kilogrammes. Quoique non datée, le médaillon de saint Jean-Baptiste identique à la cloche des heures, lui donne la même paternité.
Néanmoins, l’inscription au cerveau est ici donnée en écriture onciale avec des abréviations régulières par manque de place.
mentem sa[nc]ta[m] spontaneam honore[m] deo et patrie liberac[i]one[m].
J’ai une âme sainte et spontanée pour honorer Dieu et pour demander la libération de la patrie.
Le mécanisme d’horloge
Ces deux cloches étaient reliées à un mécanisme disparu. Ce mécanisme commandait en sus de la martellerie, le cadran des heures, le cadran astrologique, avec un zodiaque, et le cadran des quarts.
Probablement démodé et / ou faute d’entretien, ce mécanisme complexe a laissé la place à un mouvement mis en fonction en 1857 par Mathieu Barthélemy Abadie, serrurier, horloger mécanicien à Perpignan. Ce mouvement a été acquis par la municipalité responsable de la gestion de l’heure suivant les vœux de la loi.
Le mécanisme a été arrêté dans les années 1960 pour des raisons de sécurité. La martellerie ébranlait la cage de fer et par répercussion les maçonneries.
Sources : Louis Ausseil et Laurent Pie – Colloque sur l’ensemble cathédral Saint-Jean-Baptiste – Perpignan, 20 mai 2000